Quel avenir pour l’industrie européenne de défense et comment développer de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) ?

C’est la question à laquelle je m’efforcerai à répondre dans le cadre de ma mission d’information lancée le 26 février 2024 au sein de la commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale. C’est également la question que chaque citoyen européen est en droit de se poser depuis le revirement qu’a pris le secteur de la défense en Europe ces deux dernières années. En revanche, l’ambigüité de la question réside dans le fait qu’il sera difficile d’y apporter une réponse à l’état actuel des choses.

Crédits : Sebastien ORTOLA/REA

Les travaux de recherche tout comme de développement de technologies de défense gérés par l’Agence européenne de défense (AED) et financés par le Fonds européen de défense (FED) contribuent à part égale au renforcement de la Base industrielle et technologique de défense en Europe. Qui dit recherche fait également allusions aux multiples centres de réflexion (Think-Thank) et chercheurs expérimentés qui s’y prêtent en la matière. C’est dans ce cadre que l’Académie de défense de l’Ecole militaire a lancé les 13 et 14 mars 2024 la première édition du Paris Defense and strategy Forum (PDSF), un évènement international visant à faire rayonner la pensée stratégique.  Un certain nombre de chercheurs, membre de la commission européenne et industriels de défense réunis autour d’une table ronde à l’instar de Jean-Pierre Maulny (Directeur-adjoint de l’IRIS), Julien Malizard (Titulaire adjoint de la Chaire Economie de défense – IHEDN), Anne Fort (Commission européenne), Vincent Thomassier (Directeur MBDA), Pierre Eric Pommellet (Président-Directeur Général Naval Group), Nicolas Grangier (Chef de pôle – DGA) tenteront d’y apporter quelques réponses à cette même question faisant à ce jour autorité.

I. Faut-il porter un jugement sur l’efficacité des initiatives récemment développées par l’Union Européenne ou faire un Bilan des avancées ?

La première partie des communications du Paris Defense and strategy Forum (PDSF) était dédiée à une analyse critique des initiatives déjà mise en place telles que l’ASAP (Action de soutien à la production de munitions) et l’EDIRPA. A titre de rappel, le premier a été lancé dans le but de « soutenir la montée en puissance des capacités de fabrication pour la production de munitions sol-sol et de munitions d’artillerie ainsi que de missiles » avec un budget de 500 millions d’euros et le second dans le but de renforcer le développement de l’industrie européenne de défense au moyen des acquisitions conjointes avec un modeste budget de 300 millions d’euros et il « encouragera la coopération entre les États membres en matière de passation de marchés dans le domaine de la défense afin de renforcer la solidarité, de prévenir les effets d’éviction, d’augmenter l’efficacité des dépenses publiques et de réduire la fragmentation excessive en matière d’acquisitions dans le domaine de la défense ».


Interrogée à ce sujet, Madame Anne Fort n’a pas hésité en souligner l’impossibilité d’émettre un jugement à l’Etat actuel car, en ce qui concerne l’ASAP c’est la première fois que l’UE (Union européenne) met un budget sur la table pour ce type de coopération.

Il était également question au cours de cette première partie de faire un retour sur les multiples initiatives qui ont été développées par l’Union européenne depuis le début du conflit Russo-Ukrainien du 24 février 2022. En l’occurrence L’ASAP, l’EDIRPA et les très récents SIED (stratégie industrielle européenne de défense) et PEID (Programme européen pour l’industrie de la défense) lancés le 05 mars 2024 par la commission européenne dans le but d’aboutir à une BITDE plus attractive, compétitive et résiliente.

II. Où en sommes-nous dans la marche vers l’économie de Guerre ?

A titre de rappel, l’économie de Guerre a « pour objectif le maintien des activités économiques indispensables à un pays, l’autosuffisance, la dissuasion de la consommation privée, la garantie de la production d’armements et le contrôle de l’économie depuis l’État ». En revanche, on est loin de l’économie de guerre dans le contexte de mondialisation et de concurrence internationale actuelle où le marché mondial est dominé en partie par des industries non européennes.

L’aboutissement à une économie de guerre à l’échelle européenne permettra de créer un lien d’inter dépendance entre les Etats européens et les industries de défense, donner la visibilité aux industries. Pour y aboutir, il est impératif d’identifier les goulets d’étranglement dans les chaines d’approvisionnements et de sécuriser ces derniers via une relocalisation. Un autre point crucial reste la difficulté d’accès des entreprises de défense aux financements bancaire. L’Union européenne doit favoriser une amélioration du dialogue entre la défense et le secteur bancaire afin de faciliter l’accès aux crédits par les PME et ETI.


III. Le point de vue des industriels : Un aspect non négligeable.

De toutes les difficultés rencontrées par les entreprises de défense en Europe, se classe en première place l’exception de défense mobilisée dans l’article 346 TFUE qui reconnait à tout État membre la possibilité de « prendre des mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires ». A défaut d’exclure entièrement cet article du traité, les industriels de défense présents au Paris Defense and strategy Forum (PDSF) ont mis sur la table quelques mesures qui pourraient être prises, notamment une rationalisation de la demande et de l’offre, et le développement conjoints des équipements de défense.

IV. Mon point de vue sur la question

Selon Jean-Pierre Maulny, « en France on a toujours tendance à penser que le fait d’avoir une forte industrie de défense est gage d’une politique de défense. Ce qui permettrait d’assurer une liberté d’action, or le cas de l’Ukraine montre qu’il s’agit de la liberté tout court ». Face au contexte dans lequel nous nous trouvons, c’est à l’industrie européenne de faire ses preuves et s’assurer que l’Ukraine ne perd pas son combat face à la Russie. Mais, cela ne saurait se faire sans une réelle volonté des Etats membres.

Pour une défense plus compétitive, les Etats membres doivent privilégier le développement des programmes en coopération afin de réduire les coûts qui peuvent en découler. La culture des achats groupés reste également une bonne voie à suivre. Certes une bonne voie mais, à la seule condition de recourir aux produits de défense « made in Europe ».

Enfin, pour répondre à la question posée lors de la première partie de la table ronde qui s’est tenue au Paris Defense and strategy Forum (PDSF), je pense que l’impossibilité de porter critique à ces initiatives récentes en matière d’armement ne doit pas exclure la possibilité de redéfinir la stratégie de leur mise en œuvre ou d’investir davantage dans ces programmes afin de garantir des résultats plus concrets et visibles. Lors d’une récente interview de Vladimir Poutine du 12 mars 2024 au sujet de l’accord de coopération bilatérale signé le 16 février 2024 entre la France et l’Ukraine et estimé à un montant de 3 milliards d’euros, ce dernier n’a pas hésité à dénigrer l’aide militaire que l’UE apporte à l’Ukraine. Il a conclu en disant que toutes ses initiatives de soutien à l’Ukraine ne changeront pas la situation sur le champ de bataille. Est-ce à dire que ces politiques publiques d’armement développées depuis 2022, ne sont pas réellement porteuses des résultats attendus ? On ne saurait porter un jugement hâtif car, les multiples initiatives adoptées par l’Union en réaction à ce conflit sont encore pour certains en cours de préparation et pour d’autres en cours d’expérimentation. Nous payons en ce moment les frais de notre absence de coopération pendant plus de 30 ans dans le secteur de la défense. Si l’UE tient à s’affirmer en tant que puissance militaire à travers le monde, la voie de la coopération reste le seul chemin à suivre.